- GRÉGOIRE VII
- GRÉGOIRE VIIL’un des papes les plus importants de l’histoire, personnage tenace et courageux, d’une sainteté de vie indiscutable, canonisé par Paul V en 1606, Grégoire VII a accompli une œuvre que les historiens ont parfois expliquée de façon divergente. Élevé à la suprême dignité de l’Église au cours de la période la plus névralgique de la querelle entre le Sacerdoce et l’Empire, ce moine s’est fixé un double programme: restauration des structures et des mœurs ecclésiastiques qui devait prendre le nom de «réforme grégorienne»; lutte contre l’investiture laïque et l’hégémonie impériale. Il s’agissait de donner à la papauté un rôle prééminent. C’est peut-être l’étroite imbrication des deux visées qui caractérise le pontificat de Grégoire VII.La carrière de HildebrandNé entre 1015 et 1020 à Soano, en Toscane, dans une famille sans doute modeste, Hildebrand vint très tôt à Rome, où il étudia au monastère Sainte-Marie de l’Aventin et fit probablement profession monastique. Il passa ensuite au service du pape Grégoire VI et, lorsque l’empereur Henri III déposa celui-ci pour son indignité, il le suivit en exil en Allemagne. Revenu à Rome sous Léon IX, il vécut alors à l’abbaye de Saint-Paul, mais en fut tiré par Étienne IX qui l’envoya annoncer à la Cour germanique qu’il avait été élu sans la traditionnelle intervention de l’empereur. Hildebrand s’acquitta au mieux de cette tâche et sut se faire estimer du parti réformateur allemand, qui voulait appuyer la réforme du clergé sur une étroite coopération entre le Sacerdoce et l’Empire.En 1059, Nicolas II le promut archidiacre de l’Église romaine, lui donnant ainsi une position fort importante. Il fut ensuite le conseiller le plus écouté du pape Alexandre II, qui commençait alors à mettre en œuvre une réforme plus radicale et à se méfier du jeune roi de Germanie, Henri IV, qui était moins disposé à la collaboration. Ce fut sous ce pontificat, semble-t-il, qu’il adopta les thèses du parti le plus ferme en matière de restauration de la vie religieuse, thèses qui comportaient entre autres les refus de l’investiture des évêques par les laïcs.À la mort d’Alexandre II (1073), son conseiller fut acclamé par les clercs et les fidèles romains pendant la cérémonie funèbre, aux cris de «Hildebrand évêque!». Bien que cette désignation fût contraire aux dispositions du récent décret de Nicolas II (1059) sur l’élection pontificale, Hildebrand fut reconnu pape et couronné; il prit le nom de Grégoire VII.Il accédait à cette charge suprême après avoir acquis, au cours de ces longues années, la connaissance et l’expérience des problèmes ecclésiastiques et politiques. Très cultivé, enclin à accorder une grande place à la réflexion – une réflexion fondée sur le dogme et la théologie –, mais soucieux aussi des formes juridiques de l’action et connaissant bien le droit canonique, il s’imposa d’emblée comme le chef incontesté du groupe réformateur. Il avait d’ailleurs, pour tenir ce rôle, d’exceptionnelles qualités de caractère: le courage, la tenacité, le goût de l’autorité, et il excellait à dramatiser, par ses attitudes, ses proclamations et ses écrits, les situations dans lesquelles il se trouvait. Il s’imposait enfin aussi par sa sainteté.Bilan de la «réforme grégorienne»Convaincu que la réforme devait au plus vite conduire au rétablissement d’une vie digne dans le clergé, grâce à quoi le christianisme pénétrerait plus profondément dans toute la société et contribuerait à adoucir les mœurs comme à faire régner la justice et la paix, ne concevant pas que cette réforme pût réussir sans être dirigée par une autorité unique, celle du pape, persuadé encore que les structures traditionnelles de l’Église – tendant à la décentralisation et à l’autonomie épiscopale – contenaient en elles des risques graves, Grégoire VII, dès le début de son pontificat, adopta une attitude très énergique à l’encontre des évêques simoniaques; il se proclama adversaire résolu du mariage des prêtres et prit des mesures contre les clercs vivant en concubinage. Il interdit l’investiture laïque, ce qui le conduisit à un très grave conflit avec l’empereur Henri IV. Dans ce combat, où il ne craignit pas, par deux fois (1076 et 1080), d’excommunier et de déposer le monarque, il reçut l’appui de la comtesse Mathilde de Toscane et des descendants des seigneurs venus jadis de Normandie se fixer dans le sud de l’Italie, inaugurant ainsi une politique d’expansion des États de l’Église dans le centre de la péninsule et une diplomatie fondée sur l’alliance normande [cf. SACERDOCE]. Il n’hésita pas non plus à surveiller les métropolitains et les évêques en confiant des pouvoirs de décision à ses légats.De nombreux documents, émanant directement de lui, expriment la doctrine qui soutint cette action: Dictatus papae , liste de vingt-sept brèves propositions, publiées sans doute en 1075 et qui proclamaient les décrets souverains du pape en divers domaines; formules d’excommunication et de déposition, rédigées sur un ton éloquent et vibrant; deux lettres adressées, à l’occasion de ces sanctions, à Hermann, évêque de Metz.Grégoire VII mourut à Salerne, après avoir dû fuir Rome devant les entreprises de Henri IV. Apparemment il avait perdu la partie, mais en réalité son programme et ses idées devaient triompher par la suite; surtout, la réforme dite grégorienne allait, d’une façon générale, être une réussite. Grégoire mourait avec la conviction d’avoir combattu pour une cause juste et sainte.Réformateur ou dominateur?Une œuvre aussi importante, qui fut accomplie au prix d’une activité harassante et provoqua une lutte d’une extrême gravité, devait être jugée très différemment par les historiens, selon la façon dont ceux-ci posaient les problèmes et comprenaient la personnalité du pontife, en fonction aussi de leurs propres conceptions, particulièrement de leurs convictions religieuses.Pour les uns, généralement les plus récents et de tendance catholique, Grégoire VII est avant tout un réformateur, le principal inspirateur et le plus prestigieux réalisateur de la réforme qui porte son nom. À leurs yeux, son attitude et sa doctrine sont simples à saisir: il veut lutter dans la chrétienté contre l’emprise du démon, contre le péché, contre le mal; pour ce faire, il doit, d’une part, mettre en place un instrument capable de mener à bien ce combat, c’est-à-dire un clergé digne et saint – d’où la lutte contre la simonie et le nicolaïsme, contre l’investiture laïque qu’il considérait à juste titre comme à l’origine de ces vices; d’autre part, il veut élaborer des structures et établir une autorité aptes à utiliser au mieux cet instrument – c’est-à-dire proclamer et instituer la primauté romaine, faire du pape le chef réel de tous les évêques, transformer l’organisation ecclésiastique en un système de type monarchique. Ainsi considérée, l’exaltation de l’autorité pontificale, exprimée dans les Dictatus papae , ne serait qu’un moyen de réaliser une réforme saine et juste.De même, c’est au nom de la réforme et poussé par la nécessité de s’opposer au péché que Grégoire VII, selon cette thèse, intervient contre l’empereur, l’excommunie et le dépose, proclame qu’il a sur tous les princes une autorité prééminente et des droits incontestables – ce qui revient à faire du pape le seul dépositaire de la souveraineté dans le monde. Mais Grégoire VII ne prétend pas à une direction effective de la société temporelle; il n’envisage jamais de bouleverser l’organisation des pouvoirs politiques; il veut seulement que l’empereur et les rois collaborent dans leur sphère à l’œuvre religieuse de l’Église, telle qu’elle est définie par le Saint-Siège; en s’y opposant, ils favoriseraient les forces du mal.Prenant le contrepied de cette explication, sans nier toutefois qu’à la base de l’action du pontife il y eût avant tout des préoccupations religieuses, d’autres historiens, le plus souvent protestants, ont été frappés non seulement par les mesures prises à l’encontre de Henri IV, mais par l’attitude de Grégoire à l’égard de certains pays (dans la péninsule Ibérique particulièrement) devenus officiellement vassaux du Saint-Siège. Cette interprétation les a conduits à penser que le principe objectif de ce pape avait été d’exalter la puissance romaine.Autrement dit, Grégoire VII aurait, selon ces historiens, d’abord voulu imposer l’autorité pontificale directe à tous les évêques et faire de l’Église une monarchie; et, une fois ce résultat obtenu, il aurait conçu que le pape dirigeât en même temps les princes, les vassaux étant liés par un accord juridique précis et l’empereur par un contrat moral faisant de lui le chef temporel de la chrétienté – en réalité, l’exécutant suprême du programme de l’Église –, les autres rois étant contrôlés d’une façon plus indirecte mais obligés de respecter les normes définies. Finalement, ce programme aurait tendu à faire pénétrer davantage le christianisme dans la société et à faire régner la vertu, la justice et la paix; mais pratiquement, il aurait essentiellement abouti à la plenitudo potestatis de l’évêque de Rome, qui était tenu pour infaillible, ainsi que le déclare un article des Dictatus papae .La thèse mixteEntre ces deux interprétations il existe une voie moyenne. La première thèse tend, en effet, à donner une importance quasi exclusive, dans le programme grégorien, à la réforme. La seconde gauchit quelque peu à son avantage le sens de certaines décisions, la suzeraineté sur certains États étant souvent antérieure au pontificat de Grégoire VII et ayant été imposée par l’histoire même de ces États, puisqu’en se constituant ils eurent besoin de trouver une autorité qui, en les reconnaissant et les protégeant, leur donnât une existence légale.Comme aucune de ces thèses ne nie le primat de l’inspiration spirituelle de l’œuvre tout entière, on peut admettre sans difficulté que Grégoire VII a essentiellement voulu accomplir une réforme religieuse et qu’il a élaboré dans ce dessein un programme qui, à ses yeux (il aurait pu y avoir d’autres méthodes, mais il a rejeté tout autre projet réformateur), exigeait le refus de l’investiture laïque (donc lutte avec l’empereur) et une direction unique et ferme. Mais il aurait très tôt pensé qu’il était tout aussi important d’édifier véritablement cette suprême autorité que de mener la réforme: les deux chapitres du programme auraient été réalisés de front et certains grégoriens auraient agi de façon telle que l’établissement de la souveraineté pontificale dans l’Église et dans le monde serait devenu pour eux une fin et non plus un moyen.C’est là, semble-t-il, la meilleure manière de définir avec nuance la place propre à chaque problème et de mesurer la complexité de toute grande entreprise politico-religieuse, aucune de ces explications d’ailleurs ne diminuant la grandeur de Grégoire VII et l’importance de son œuvre.Grégoire VII(saint) (v. 1020 - 1085) pape de 1073 à 1085, d'abord moine à Cluny sous le nom de Hildebrand. Il lutta contre les prétentions des princes laïques à conférer à leur guise les dignités ecclésiastiques (querelle des Investitures); aussi excommunia-t-il l'empereur Henri IV (1076), qui se soumit à Canossa (1077), mais la lutte reprit et finalement (1084) le pape dut quitter Rome.
Encyclopédie Universelle. 2012.